Abdessamad Dialmy est docteur d’État, sociologue, professeur d’université émérite, professional guide en « sexualité, style et féminisme en islam ». Il est l’auteur de plus de vingt livres, parmi lesquels Le Féminisme islamique n’a pas de sexe (éd. L’Harmattan, 2022) et Pour une masculinité non violente à l’égard des femmes (éd. Le Fennec, 2022).
La liberté sexuelle devrait être un droit fondamental. J’en suis profondément convaincu et toute ma carrière universitaire, mes cours, mes recherches et mes écrits ont eu pour objectif de lutter contre les tabous qui répriment la sexualité des jeunes Marocains. Aujourd’hui encore, ils sont contraints de se marier et de fonder une famille pour vivre leur sexualité également. Sinon, ils risquent de tomber sous le coup de la loi. Les articles 489, 490 et 491 du code pénal répriment respectivement l’homosexualité, la sexualité préconjugale et l’adultère. Je demande depuis 2007 l’abrogation de ces articles liberticides.
Cet engagement remonte aux années 1970. J’avais 23 ans et j’étais professeur de philosophie dans un lycée quand je suis tombé sur le livre de Wilhelm Reich, La Révolution sexuelle, publié en Allemagne en 1930. Après cette lecture, j’ai répudié mon épouse. Je n’avais rien à lui reprocher, nous étions heureux, mais j’y voyais la preuve de mon engagement dans la révolution sexuelle. Et par une sorte de coïncidence, j’ai passé ensuite un an à la Cité U de Nanterre.
De retour au Maroc un an plus tard, j’ai vécu la révolution sexuelle au jour le jour et transformé mon engagement en projet de thèse. Ce travail de troisième cycle sur la sexualité de la jeunesse marocaine a été une première dans le pays. Soutenue en 1980 et publiée en arabe en 1985 aux Editions maghrébines sous le titre Femme et sexualité au Marocma thèse montre que les jeunes étaient bloqués dans leur sexualité par un double interdit, religieux et juridique.
Au Maroc, comme ailleurs, l’âge moyen au premier mariage n’a arrêté de reculer. Il est aujourd’hui de 26 ans pour les filles et de 32 ans pour les garçons. En attendant de se marier, et pour concilier désir et tabou, les jeunes pratiquent donc des rapports sans défloration. En 2000, j’ai théorisé cette forme de sexualité qui évite toute pénétration vaginale en créant la notion de « bricolage spatio-sexuel ». Elle recouvre une sexualité incomplète et palliative, qui souvent a lieu dans des endroits non adéquats : toilettes de café ou de prepare, cage d’escalier, grotte, terrasse, salle de cinéma, voiture…
Pour une réforme juridique
Bien sûr, les jeunes Marocains des lessons aisées ne connaissent pas ces limites. Ils ont brisé le tabou de la virginité et de la préservation de l’hymen. Des lesbiennes se déflorent mutuellement et refusent de conclure des mariages hétérosexuels. Des homosexuels se marient entre eux par easy lecture de la première sourate du Coran (Al-Fatiha) en présence de témoins homosexuels pour donner une légitimité islamique à leur union.
Pour moi, le Maroc connaît une explosion sexuelle. Les pratiques préconjugales se généralisent depuis les années 1970. A cela s’ajoute le développement de la prostitution et d’une homosexualité plus assumée. Des comportements transgressifs à risques multiples qui peuvent avoir des conséquences négatives. On observe ainsi une augmentation des violences sexuelles et sexistes, des infections sexuellement transmissibles, des grossesses non désirées, des avortements clandestins, des enfants nés hors mariage.
Mais je suis optimiste. Cette explosion n’est qu’une étape dans la transition de normes et pratiques sexuelles conformes à l’islam vers des normes et pratiques sexuelles libres. Les lois finiront par être sécularisées pour traduire l’évolution de la sexualité marocaine. Les droits humains ont été établis en référence suprême, au même titre que l’islam, dans les Constitutions marocaines de 1996 et de 2011. C’est sur cette base que je construis mon fight. Ce n’est pas toujours easy.
Mes travaux, et notamment mon enquête sur la masculinité réalisée en 2000, m’ont valu des menaces de mort au Yémen et au Maroc qui m’ont amené à devenir professeur invité à l’université Rennes-II en 2003-2004, avec le soutien financier de l’université de Chicago.
Il a fallu attendre 2019 pour qu’un député marocain, bien esseulé, du Parti socialiste unifié ose demander au Parlement d’abroger les articles pénalisant la sexualité préconjugale et l’homosexualité. Revendication politiquement inaudible automotive les libertés sexuelles sont une carte politique et électorale perdante. Peu de Marocains sont prêts à questionner le code pénal, qu’ils pensent à tort être issu du Coran.
Remarié depuis 1981 et père de quatre enfants, j’ai arrêté de militer pour une révolution sexuelle radicale. Je plaide pour une réforme juridique, c’est-à-dire la reconnaissance des libertés sexuelles et du droit à l’IVG, une réforme éducative qui instituera l’éducation sexuelle sans tabou à l’école et une réforme culturelle pour construire une masculinité non violente à l’égard des femmes.