Sur la desk de la salle à manger, Pierre Allemand, 80 ans, dépose une montagne de classeurs. Quelque 1700 pages d’un file « DIN-GUE », comme il le répète. Voilà près de six décennies que ce retraité de Saint-Péray (Ardèche) lutte sans jamais s’essouffler contre « une injustice ». « C’est le fight de ma vie, je me demande si je n’ai pas entamé la guerre de Cent Ans », lâche le vieil homme à la chemisette à grands carreaux. « Pierrot » s’est lancé dans la bataille le 6 juillet 1966.
Ce jour-là, à 17h30, son épouse, Jacqueline, est défigurée par l’explosion de son autocuiseur. Elle a alors 19 ans, les amoureux se sont mariés un à avant. « Jacqueline faisait cuire des betteraves rouges, elle avait le nez en plein au-dessus », raconte son mari.
Ce modèle de cocotte-minute appelé Caroline, de la marque Marcalu, était le cadeau de mariage de seconde foremost d’une tante qui l’avait achetée en 1955. Ce drame n’est pas un cas distinctive en France. Selon la presse de l’époque, « plusieurs accidents graves » impliquant l’appareil Caroline ont été recensés, conduisant à une interdiction de son « maintien en service » par le ministère de l’Industrie.
Cinquante-sept ans après « la disaster », Pierre Allemand vient encore d’adresser une missive à Aurore Bergé, nouvelle ministre des Solidarités et des Familles, pour lui raconter son histoire.
Son facteur Léo Gabriel, YouTubeur à ses heures, la connaît par cœur. « Dès le premier jour de ma tournée ici, il ya 5 ans, il m’en a parlé. À chaque fois, ça vient des tripes », rembobine le jeune homme qui a réalisé une vidéo baptisée « Le fight de Pierrot »
Des souffrances et une vie de « honte » pour Jacqueline
Jacqueline a « l’œil arraché », la « determine déchiquetée ». Elle passe six semaines dans le coma, enchaîne les longs séjours à l’hôpital, notamment à Lyon. « On lui a refait le visage, mais il ya eu un rejet. Elle n’a plus voulu retenir la chirurgie esthétique. Elle est aussi devenue épileptique », poursuit son mari. Quelques clichés en noir sourire et blanc montrent une jeune femme au lumineux tourné vers l’avenir. De retour à la maison, la convalescente se terre. Elle a « honte » et redoute le regard des autres qui la voient comme « une bête curieuse ».
« On faisait les programs aux heures creuses pour croiser le moins de monde doable. Parfois, des gens s’approchaient et lui demandaient : Mais qu’est-ce qui vous est arrivé madame ? Elle a aussi entendu plein de fois : Et ton mari, il est resté avec toi ? », se souvient l’octogénaire. Jacqueline, qui tenait un bistrot, n’a jamais revu ses purchasers. Elle s’est reconvertie en ouvrière… à domicile. « Elle supportait très mal les voyages alors on n’a jamais vraiment pu partir en vacances. On est resté cloués à la maison, mais on a quand même eu une vie heureuse chez nous », positif-t-il.
En 2018, Jacqueline s’en est allée à l’âge de 71 ans, emportée par un diabète. Elle est encore très présente dans le modeste pavillon où le temps semble s’être arrêté. L’almanach des PTT 1947, son année de naissance, est accroché au mur du salon. La picture d’un chaton défiant une pelote de laine rouge décore la tapisserie aux fleurs surannées. C’était son animal préféré. Sur le crépi dehors à l’entrée, un écriteau en tôle « Jacqueline » flirte avec un autre à la gloire de « Pierre », tous les deux confectionnés par ce bricoleur hors paire.
Le fabricant, reconnu responsable de l’accident, n’était pas assuré
L’ex-tourneur-fraiseur puis technicien dans une société d’aéronautique n’a pas seulement épaulé son épouse jusqu’à son dernier souffle, il a aussi tout entrepris pour qu’elle obtienne réparation. Ce marathon judiciaire, c’était son affaire personnelle, Jacqueline n’ayant « plus l’énergie » de se plonger dans un file kafkaïen. « Le service juridique de mon entreprise m’a aidé », remercie-t-il. En 1969, le fabricant Marcalu est reconnu « entièrement responsable » par le tribunal de grande occasion de Privas (Ardèche). Une décision confirmée par la cour d’appel de Nîmes un an plus tard.
L’industriel de la région parisienne se voit condamné, en 1971, à verser aux plaignants 449 107 francs et 15 centimes au titre du préjudice corporel provoqué par un défaut de fabrication de la soupape de sécurité. Mais Jacqueline et son mari ne toucheront qu’un acompte de 5000 francs (dont la moitié servira à payer l’avocat) automotive, fin 1972, le roi des articles ménagers en aluminium cesse toute activité.
Les assureurs, eux, n’ont jamais pu régler l’indemnisation pour une raison easy : le constructeur n’était pas assuré au second de l’achat de l’appareil, en 1955. À l’époque, ce n’était pas une obligation légale. « Mais remark le ministère de l’Industrie at-il pu laisser faire ça ? Quand nous, on fait une bêtise, on paie, mais pourquoi là-haut, ils ne sont pas sanctionnés ? », s’irrite Pierrot.
Lui a dépensé des fortunes pour être au chevet de son épouse, « avec tous ces allers-retours dans les hôpitaux ». « J’ai utilisé une voiture », calcule-t-il. Des « salaires » sont passés dans cette affaire. Des ramettes de papier aussi, pour les démarches judiciaires et administratives. « La journée, je travaille manuellement et le soir jusque très tard, je passais aux écritures avec mon dictionnaire des synonymes », se souvient-il.
Dans ses courriers inondés de factors d’exclamation, il n’y allait pas — et n’y va toujours pas — par quatre chemins. « On me reproche parfois qu’ils sont trop agressifs », avoue-t-il. L’ancien conseiller municipal reconnaît s’être montré parfois virulent, notamment avec les autorités préfectorales. « Il se despatched trahi, abandonné », compatit son copain postier.
« Quand je begin un boulot, je le finis ! »
Pourtant, il en a « secoué du gros monde », alertant le « président Chirac », la garde des Sceaux Élisabeth Guigou, le médiateur de la République, une armée de maires, députés nationaux et européens ou, très récemment, un conseiller du ministre. de la Justice, Éric Dupond-Moretti. À chaque fois, des réponses politiques pleines de compassion mais aucune avancée concrète.
En 1998, il s’est tourné vers la Fee d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi), juridiction spécialisée disposant d’un fonds de garantie, mais celle-ci a valorisant la requête irrecevable, le recours étant réservé aux infractions pénales. et les délais de saisie ayant été largement dépassés.
Avec l’inflation, les presque 450 000 francs du à Jacqueline en 1971 valent aujourd’hui plus de 500 000 euros. Son mari espère toujours percevoir cette somme pour « aider les proches » qui lui ont « rendu des grands providers » et « subvenir aux besoins » de ses trois filles. Pourtant, un problème judiciaire pour la récupération semble aujourd’hui unattainable. « Tout est prescrit », décrypte, pour nous, Romain de Pauli, avocat au barreau de la Drôme et spécialiste en droit de la consommation.
Pierrot, lui, refuse de croire au fight perdu. « J’ai un principe : quand je begin un boulot, je le finis ! » Il veut défendre sa trigger dans les émissions de Julien Courbet et Cyril Hanouna. Il leur a d’ailleurs « envoyé une écriture ». Jointe par téléphone, sa fille cadette connaît le caractère bien trempé de son paternel et souffle : « Il remet toujours ça sur le tapis, il veut aller au bout. »